> actualités > Que peuvent apprendre les managers des leaders politiques ?


Extrait de la Synthèse Manageris n°154a

Les attentes à l'égard des managers ont fortement changé au cours des dernières décennies. Plus question de management autoritaire : il s'agit de convaincre et de mobiliser les énergies. Plus question d'imposer les changements de façon unilatérale : il faut savoir écouter et associer le plus grand nombre.

Ces nouvelles attentes placent les managers dans une position assez semblable à celle que connaissent depuis toujours les leaders politiques. Ces derniers ne disposent en effet que de l'autorité qui leur est reconnue par leurs concitoyens. Ils peuvent difficilement engager des changements sans l'assentiment de ceux-ci. Ils doivent s'affirmer en permanence comme des fédérateurs autant que des décideurs.

Real Leadership étudie la façon dont certains leaders politiques ont obtenu les résultats qui les ont fait passer à la postérité. Trois enseignements nous ont semblé particulièrement utiles pour un leader d'entreprise.

1. Se montrer proche, mais différent

Le statut de leader impose de satisfaire deux exigences à première vue contradictoires. D'une part, pour être suivi, le leader soit reconnu comme membre à part entière de la collectivité qu'il dirige. D'autre part, il doit se distinguer des autres membres du groupe par certaines caractéristiques qui justifient qu'on le suive lui plutôt qu'un autre. Trouver un équilibre satisfaisant entre ces deux exigences doit être une préoccupation constante.

Ainsi, il est indispensable de donner des signes visibles d'appartenance au groupe, à l'image de Lawrence d'Arabie qui ne manquait jamais de montrer son attachement aux coutumes arabes. Tout comme il est important de veiller à s'adresser à tous – et non uniquement à ses proches soutiens – et de savoir exprimer les émotions de l'ensemble du groupe. Tony Blair, par exemple, a su exprimer la douleur des Britanniques après la mort de Lady Diana. Considéré quelques jours plus tôt comme le chef du parti travailliste, il a par ces paroles emporté l'adhésion bien au-delà du cercle de ses partisans.

Mais il est aussi essentiel d'afficher sa singularité pour constituer un point d’ancrage : le comportement du leader doit accréditer l'idée qu'il est le facteur de stabilité dont tout groupe a besoin. La distance affichée par Churchill, par exemple, distance l'a parfois fait paraître hautain mais elle l'a puissamment aidé à incarner l'impassibilité et le courage britannique face à la menace nazie.

2. Aider à voir le monde différemment

Quand on examine de plus près les leaders qui ont su faire progresser leur communauté, on constate qu'il ne s'agit pas de ceux qui ont réussi à faire croire à des utopies, mais à faire évoluer les mentalités de leurs concitoyens pour qu'ils acceptent des changements nécessaires.

Pour cela, il faut avant tout formuler un diagnostic exact de la situation en veillant à identifier les leviers de motivation sur lesquels on pourra s'appuyer pour conduire les changements nécessaires. Ainsi, c'est parce qu'il avait compris qu'il pouvait jouer sur "l'esprit australien" que le Premier Ministre Malcolm Fraser a réussi à provoquer un revirement complet de la politique d'immigration de son pays dans les années 1970.

Mieux vaut aussi mettre le groupe face à ses contradictions, plutôt que lui imposer ses vues. La marche de Selma en Alabama a ainsi permis à Martin Luther King de faire prendre conscience à beaucoup d'Américains de la contradiction entre les images de policiers matraquant femmes et enfants et leur idéal d'un pays se voulant "la première démocratie du monde".

Enfin, la démarche progressive et opportuniste souvent adoptée par les politiques semble la plus efficace pour faciliter le changement. Lyndon Johnson, par exemple, n'a dans un premier temps fait voter que le droit de vote des Noirs Américains. Les autres mesures discriminatoires ont effectivement été abolies dans les années suivantes. De même, Alice Paul, a tiré parti de l'entrée en guerre des Etats-Unis en 1917 pour donner un nouvel élan au mouvement féministe américain.

3. Agir en chef d'orchestre

Contrairement à une opinion répandue, les leaders politiques les plus remarquables ne sont pas des décideurs. Leur véritable talent consiste au contraire à orchestrer un processus dans lequel la collectivité assume la prise en charge des changements nécessaires.

Ils savent ainsi se servir de leur autorité non pour imposer leurs vues, mais pour faciliter les échanges. Pendant la convention qui allait donner naissance à la Constitution des États-Unis, George Washington est ainsi intervenu à de multiples reprises pour dissuader les délégués à qui déplaisait la tournure des débats de quitter l'assemblée. De même, il a toujours refusé de trancher lui-même les questions fondamentales qui lui étaient soumises, renvoyant cette charge sur l'ensemble des délégués. Le résultat de ces trois mois de discussion a été un texte que tous les délégués ont fini par soutenir collectivement, et qui s'est avéré un fondement des plus solides pour la jeune nation.

Enfin, beaucoup de grands leaders politiques ont fait montre d'une capacité peu commune à calmer le jeu dans des circonstances tendues, empêchant ainsi la rupture du processus de changement. Lorsque le Timor Oriental est devenu indépendant en 1999, l'armée indonésienne a commencé à détruire la capitale. Le leader timorais José Ramos Horta a consacré une énergie gigantesque à maîtriser la réaction de ses milices : répondre à la provocation n'aurait pour effet que de relancer la guerre et d'annuler le résultat du vote. Cherchant à calmer les esprits, il a demandé l'envoi d'une mission d'interposition de l'ONU, ce qui a donné le coup d'envoi d'une véritable indépendance pour le Timor.

 

Les leaders politiques qui réussissent à transformer pour leur bien leur pays ne sont pas des décideurs autocratiques. Ce sont au contraire des chefs d'orchestre qui savent mettre leurs concitoyens face aux réalités et les aider à y faire face collectivement. Ils savent également se construire une image très particulière, à la fois comme membre du groupe et comme personnage à part. Autant de compétences qui se révèleront également très utiles pour un leader d'entreprise !

(Article publié sur Le Cercle Les Echos)          

En savoir plus: 

- A l'école des grands leaders politiques (Synthèse Manageris n°154a) 

- Real Leadership, Dean Williams, Berrett-Koehler, 2005

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« Influence »

¬ Commentaires (3)

Fabienne Benoist

Bonjour, J'aurais tendance à inverser la question : "que peuvent apprendre les leaders politiques des managers?" ou à la traiter de manière réciproque. Travailler avec des hommes politiques est un très bon apprentissage car on doit savoir s'adapter très rapidement, conduire des projets et manager des équipes d'horisons divers. D'un autre côté, l'homme politique pour obtenir l'adhésion de ses collègues, salariés et habitants apprend beaucoup de la posture et du discours managérial. A suivre...

¬ publié le 18/03/12 à 07h31

Guy Finné

Pour commenter l'article et le commentaire je souhaite évoquer un courant de pensée qui se développe pour orienter le sociétal vers l'empathie qui est il me semble ( pourrait est plus exact ?) le facteur commun aux deux mondes. Je cite Rifkin "Une nouvelle conscience pour un monde en crise" et aussi Arnsperger "Ethique de l'existence post-capitalistique". Ces idées sont "critiquées positivement" et reprises avec l'exposé de moyens concrets pour y parvenir dans mon tout prochain livre "Le recadrage des cadres" et celui en préparation " Pour un Projet Sociétal Humanologique".

¬ publié le 09/03/12 à 21h40

Guy Benchimol

Vous avez raison, Chrystel, de souligner que les conduites du monde de l'entreprise ont beaucoup à gagner en s'inspirant de celles du monde politique mais cela se limite aux rapports humains en général et est du ressort de la psychologie et de la sociologie (voir la généralisation de l'influence des réseaux sociaux dans ces deux mondes). En fait, il faut bien distinguer ces deux mondes: - l'un, celui de l'entreprise, est dominé par la compétence et la raison alors que l'autre, le monde politique est dominé par le charisme et l'idéologie - l'un, celui de l'entreprise, est dominé par un travail en commun, l'initiative et la notion du résultat alors que l'autre, le monde politique, est dominé par la délégation, l'observation de régles formelles et le compte-rendu. Malgré ces différences, la recherche du bien commun devient de plus en plus à l'ordre du jour dans les deux mondes qui deviennent de plus en plus perméables l'un à l'autre, comme l'atteste le succès grandissant du développement durable (les intérêts du "shareholder" cédant partiellement la place à ceux des "stakeholders")

¬ publié le 09/03/12 à 12h12

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